
C'était avant mon changement d'état civil, en 2010. J'étais déjà sous hormones et j'avais subi la mastectomie mais pas l'hystérectomie. Du coup, selon mes papiers, j'étais toujours une femme [en France, pour changer d'état civil, une personne trans doit passer par un long parcours psychiatrique, juridique et médical, qui comprend une stérilisation forcée, ndlr] et c'était la galère. Un jour, mon banquier m'a raccroché au nez : « Je suis désolé mais j'ai des oreilles, j'entends bien que vous n'êtes pas « Mademoiselle ». »
Ça a été dur au travail, en tout cas. Quand j'ai démarré ma transition, j'arrivais enfin au travail avec des vêtements qui me correspondaient et chaque matin, mon patron me disait : « Mais enfin, arrête de te déguiser ! » Je n'avais jamais eu de problème jusque-là, mais d'un coup, au moment de la transition, j'ai ressenti des pressions, jusqu'à ce qu'ils décident de ne pas renouveler mon CDD. J'ai été voir la CGT et la CFDT mais selon eux, c'était trop difficile de prouver juridiquement que leur attitude était de la transphobie. Je crois aussi qu'ils ne comprenaient pas trop mon cas, ça aurait été plus simple si j'avais été homo plutôt que trans. J'ai donc trouvé une asso pour me représenter auprès de ma hiérarchie. Ils ont flippé, leur discours a changé, on m'a dit que j'avais dû mal interpréter certaines paroles... Pour autant, ils n'ont pas reconduit mon contrat. Chez Pôle Emploi, ils ont regardé mes papiers avec beaucoup d'attention, j'ai dû expliquer qui j'étais. Mais ils ont compris maintenant, ça va mieux.
Le juge qui s'est occupé de mon changement de prénom. Pour changer d'état civil, on doit obligatoirement passer par l'hystérectomie – en gros, la stérilisation. Après ça et une phalloplastie, je suis passé devant un juge pour changer d'état civil. D'abord, le juge a fait des commentaires sur mon âge, c'était il y a deux ou trois ans et il trouvait que j'étais trop jeune pour savoir si j'étais un homme ou une femme. Mon avocat lui a dit que de toute façon, pour eux, on était toujours soit trop jeune, soit trop vieux. Alors il a commencé à me faire chier sur mon choix de prénom. Moi, je voulais m'appeler Lahcène, c'est un prénom arabe. Je suis pas arabe, je suis espagnol, mais j'aimais bien. Le juge a refusé mon choix parce que ça n'était pas un prénom français. Du coup, j'ai demandé Oscar et là encore, il m'a dit que ça n'allait pas être possible, qu'il fallait un prénom neutre, genre « Dominique » ou « Claude ». Ça m'a paru d'autant plus débile qu'à l'époque, j'étais hyper viril, j'avais pas encore pris le look androgyne que j'ai maintenant. Bref, avec toutes les opérations chirurgicales, j'avais un super bon dossier, du coup j'ai pu m'appeler Oscar. Mon dossier aurait été moins avancé, c'est sûr, ça ne serait pas passé.
Ce qui m'ennuie, c'est à l'hôpital ou chez le médecin, quand on me colle le « M. » de monsieur. C'est marrant comme quand il s'agit d'un service où l'on paie, comme les impôts ou les transports, on n'a aucun problème à être désignée comme « Madame ». Par contre, avec la Sécu...
À l'école. Je fais des études pour devenir travailleur social, un milieu où tu t'attends à trouver des gens plutôt respectueux et informés... Sauf que j'ai des tas de problèmes en classe. Je suis trans et homo, ce que ne supportent pas un certain nombre de mes camarades. L'un d'eux m'a même dit : «T'es comme Hitler, tu finiras en enfer. » Lui et d'autres refusent que je parle de qui je suis, de mon implication dans une asso LGBT, de qui j'aime... Tout ce qui fait ma vie, en fait. La règle dans ce genre de formation, c'est qu'on doit fonctionner en équipe, alors je ne parle plus de rien pour éviter les conflits. Et c'est pas mieux avec les profs : plusieurs m'ont dit qu'ils refuseraient toujours de m'appeler Valentin, sous prétexte que ça serait contraire à ce que disent mes papiers, donc à la loi. Je vais faire la démarche pour tout officialiser mais le changement de nom, avec les frais de notaire, d'avocat et tout ça, ça coûte plus de 500 ¤. Certains de mes potes économisent pour s'acheter une Playstation, moi je vais m'acheter mon prénom.
Oui, par La Poste. À chaque fois que je vais chercher un recommandé ou un colis, c'est la galère. La dernière fois, je montre mes papiers et là, le type me demande : « J'ai la carte d'identité de votre mari, mais elle est où, la procuration qui va avec ? » Il ne voulait pas me donner mon courrier. Un autre jour, la guichetière me prend ma carte d'identité puis va trouver sa collègue un peu plus loin. Au bout d'un moment, je les voyais rigoler en me regardant et j'ai compris qu'elles étaient en train de se foutre de ma gueule derrière leur comptoir. En plus, je ne suis pas française, je viens du Québec et ça complique encore les choses. Ce qui m'ennuie aussi, ce sont les insinuations pendant les entretiens d'embauche, « Vous comptez avoir des enfants ? », ce genre de phrase... Mais ça, toutes les femmes y ont droit.
Il y a quelques mois, un type m'a cassé la figure dans la rue en bas de chez moi, à Limoges. J'avais mes écouteurs, je ne l'ai pas entendu arriver. J'ai compris ce qui se passait seulement quand j'ai pris les premiers coups. J'ai eu la lèvre éclatée, l'arcade défoncée et puis mon nez aussi, je pissais le sang. Le type n'a pas été retrouvé.
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